Je me souviens…

Je me souviens… de la mine

Ah, je vais vous dire que dans les années 1944 / 1945 j’ai été mineur de fond. Pourquoi ?
Pour ne pas partir en Allemagne aux travaux forcés au bénéfice de l’ennemi. Le Reich réquisitionnait tous les jeunes, sauf ceux qui étaient mineurs.
Or, nous avions un grand oncle, et un grand cousin qui travaillaient près d’Estrée-Blanche (sur la chaussée Brunehaut), aux houillères nationales en qualité d’ingénieurs.
Bien, même très bien, car il fallait que j’aille travailler à la mine, moi qui n’était pas manuel mais plutôt intellectuel. Bref, je suis arrivé à Estrée-Blanche, excellemment reçu, gâté, oui plus que gâté durant ce séjour forcé. Oh oui je m’en souviens…Je suis donc descendu dans la fosse du Transwald. Nous descendions pour extraire le charbon à près de 1700 mètres de profondeur. Ce fut horrible : s’habiller d’un bleu de travail, se coiffer d’un bonnet et d’une barrette, se déshabiller complètement devant les autres dans la salle « des pendus » (là où nos vêtements sont suspendus sur des cintres qui montent au plafond)…, se faire laver le dos et sur toutes les parties du corps par son voisin etc. enfin, descendre rapidement à cette extrême profondeur froide, noire, glauque toujours en pleine nuit… entendre les chaines et les bruits assourdissant des wagonnets chargés de charbon etc. j’avais peur !
Mais dans le fond : j’avais un bon boulot car rappelez-vous qu’en cette période de guerre, notre pays, dès la sortie du puits de mine, était occupation allemande.
Les mineurs avaient plus de ravitaillement que les autres civils ! Il fallait qu’ils travaillent dur pour abattre le charbon destiné à l‘Allemagne, pour leurs usines d’armement. Et surtout, il était défendu de faire de la politique avec les Anglais, naturellement contre les Allemands !

Afin d’établir une certaine vaine sécurité dans les galeries, il y avait un délégué mineur qui passait son temps à circuler dans les galeries afin d’écouter les mineurs quant à leurs revendications vis à vis des risques du métier pris, ainsi que de l’élémentaire nécessaire pour exécuter ce travail de force, exténuant pour ma petite nature.
En principe, ce pourvoyeur de renseignements était un homme âgé, mur, proche de la retraite. Cet homme en temps de guerre (même au fond) devait être accompagné par un autre « porrion » (un mineur, en langage du métier), afin d’éviter absolument toute conversation politique.
Et cet homme, bien que très jeune : ce fut moi, oui moi.
J’avais eu cette place grâce à ma famille d’Estrée-Blanche, grâce à mon oncle Abel !
Mais un matin, vers les 5h00, on me dit : « Caby – tu iras voir le maître porrion en bas  » – mon convoyeur s’appelait Bajolle…
Je m’y rendis – il me dit alors : «tu iras à tel endroit pour ramasser le charbon et remplir les wagonnets ».
J’y suis allé mais il ne m’a pas fallu bien longtemps pour sentir et voir mes mains en sang, à cause de la dureté à cette tâche – je n’avais pas l’habitude de manier une large et lourde pelle… et puis, il fallait faire vite, le charbon était trop lourd pour moi.
Bref, les mineurs me comprirent, cependant, il fallait remplir tout de même les wagonnets !
Lorsque je suis remonté à l’air libre vers les 14h00, je suis allé tout de suite aux grands bureaux où m’attendait mon cousin Marcel Anselin. Il me dit : « tu as vu, ce que c’était le travail pénible de mineur, on t’a fait une farce, rassures- toi, tu ne feras plus jamais ce travail ! »
Ouf, Merci mon Dieu, ah oui, je m’en souviens…

A part cet incident : le premier dimanche où je travaillais, on travaillait tous les jours, j’allais manquer la messe. Je me tenais, les mains appuyées sur les énormes tuyaux d’aération, tunnel d‘où l’on pouvait remonter les hommes en cas de sinistre !
Bref, par une mauvaise manœuvre de deux tuyaux (on les appelait les Canards), je me suis coincé le majeur de la main droite ; le sang a giclé et j’ai du remonter rapidement à la surface, me rendre chez le docteur Pruvost etc. etc. La coupure du doigt est toujours marquée après tant d’années… depuis 1944 !

Je me souviens… n’avoir pas été trop malheureux à Estrée. Les cousines Irène et Louise me gâtaient. Oncle Abel, était un Bon Oncle !

Nous nous sommes regroupés avec les fils de la famille Dequidt, brasseurs ainsi qu’avec un lointain cousin Roger Remoissenet – nous étions à quatre pratiquement tous les jours. Nous organisions des sorties à vélo, puis des banquets et des concerts pour les prisonniers de guerre, des danses aussi etc.
Le peu que nous touchions des Houllières, était réservé aux œuvres, aux sorties et au tabac – et pourquoi pas l’avouer au Genièvre…
Nous buvions souvent des « mélécass » : quelques gouttes de cassis arrosées de genièvre de Houlle.
Nous avons ainsi vécu de bonnes parties. J’avais personnellement des cartes d’alimentation et du tabac supplémentaire grâce à notre Tata Mone (cette sainte femme).
Et les S.T.O (service travail obligatoire) revendaient pas mal de choses.

Finalement, je ne travaillais plus beaucoup au fond de la mine…

8 commentaires »

  1. GJ says

    LA fosse du Transwald … un nom que j’avais presque oublié, je l’ai entendu prononcé par ma mère et je crois que son père y avait travaillé.

    25 Mai 2010 | #

  2. Brice says

    Bonsoir,avez vous connu un mineur du nom de Gervais Ducrocq merci

    14 Mai 2011 | #

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